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Dollar en repli, ETF couverts en plein essor : ce que disent vraiment les flux internationaux

Le dollar s’est nettement affaibli en 2025, malgré des afflux massifs vers les marchés américains. Une contradiction apparente… sauf à regarder de près la manière dont les investisseurs étrangers s’exposent désormais aux États-Unis.

 

Dans une analyse détaillée, Nicholas Sargen (Darden School of Business) montre que la montée spectaculaire des produits couverts a redessiné la relation entre performance américaine et devise américaine — et pourrait annoncer un changement de régime durable.
 

Depuis le discours du président Trump surnommé le « Jour de la Libération » au printemps dernier, l’appétit international pour les actifs américains a été mis en doute. Les marchés actions avaient reculé, les obligations aussi, et le billet vert s’était déprécié, laissant penser que les investisseurs commençaient à tourner le dos aux États-Unis.
Mais le rebond intervenu depuis a démenti cette première lecture : la Bourse américaine a atteint de nouveaux sommets historiques, les Treasuries ont repris de la hauteur et les flux internationaux se sont réintensifiés.
 

La contradiction ? Malgré ces achats massifs, le dollar s’est encore affaibli, perdant environ 10 % en taux de change effectif sur le premier semestre. Une faiblesse que beaucoup attribuent à l’assouplissement monétaire de la Fed, qui réduit l’attrait des obligations américaines et compresse les écarts de taux avec le reste du monde.
 

Ce que souligne Nicholas Sargen, c’est un mécanisme bien plus déterminant : la couverture systématique du risque de change par les investisseurs internationaux. Ils continuent d’acheter les actions américaines, notamment les multinationales dominantes dans la tech et l’IA, mais ils se débarrassent du risque dollar.
 

Ce découplage entre actifs et devise est au cœur de la dynamique actuelle.
Selon la Banque des règlements internationaux, le recul du billet vert en avril et mai provient largement de la montée de ces opérations de couverture. Les investisseurs étrangers ont conservé leurs positions sur les actifs américains, mais vendu massivement leur exposition au dollar sur les marchés à terme.
 

L’essor inédit des ETF couverts : un renversement de tendance historique
Pour mesurer l’ampleur du phénomène, il suffit de regarder les flux dans les ETF.
D’après un rapport de Deutsche Bank, 2025 marque un tournant : pour la première fois depuis une décennie, les ETF couverts en dollars investissant sur les actions américaines ont attiré davantage de capitaux que leurs équivalents non couverts.
La proportion est spectaculaire :
– début d’année : 80 % des flux allaient vers des ETF non couverts ;
– trois derniers mois : 80 % des quelque 7 000 Mds$ investis dans des ETF actions US domiciliés hors États-Unis sont désormais couverts.
 

Ce basculement montre deux choses :
1. Les étrangers n’achètent plus le dollar. Ils veulent l’économie américaine, la dynamique des multinationales, mais pas la volatilité de la devise.
2. La couverture agit elle-même comme une force de vente sur le dollar, accentuant son recul mécanique.
Ce mouvement est cohérent avec la montée en puissance des géants américains de l’IA : leur domination sectorielle attire des flux structurels, mais les investisseurs étrangers cherchent à neutraliser les variations de change susceptibles d’annuler une partie de la performance.
 

Historiquement, ce comportement est nouveau. Dans les années 1980 ou 1990, la plupart des investisseurs étrangers couvraient leurs obligations américaines, mais rarement leurs actions.
 

La mondialisation financière a changé la donne : les positions en actions US détenues par des non-résidents ont été multipliées par cinq depuis 2008, pour atteindre près de 17 000 Mds$ mi-2024, tandis que les obligations à long terme détenues par l’étranger dépassent 12 700 Mds$. Cette montée en sophistication modifie profondément l’impact des flux internationaux sur le marché des changes.
 

Un dollar vulnérable, et un risque politique désormais central
Le recul du dollar n’est donc pas paradoxal : il résulte d’une mécanique financière, d’un changement d’habitudes et du contexte monétaire.
Mais Sargen identifie aussi un risque politique plus profond.
Le billet vert reste historiquement élevé, et les écarts de taux qui le soutenaient devraient continuer de se réduire à mesure que la Fed abaisse ses taux directeurs.
 

Dans un scénario classique, une baisse du dollar serait « bénigne » si elle s’accompagne d’une hausse des actions et d’une détente des rendements obligataires. Mais ce scénario dépend d’un facteur clé : la confiance dans l’indépendance de la Réserve fédérale.
 

Or, l’administration Trump exerce une pression de plus en plus visible pour accélérer l’assouplissement monétaire, alors même que l’inflation dépasse encore d’un point l’objectif de 2 %.
Si la Fed cédait à ces injonctions, comme au début des années 1970, le marché pourrait douter de sa crédibilité. Ce serait le scénario où le dollar ne s’effrite plus : il décroche.
 

L’épisode du « Jour de la Libération » a montré à quel point les marchés peuvent réagir violemment lorsqu’un doute apparaît sur la stabilité du régime économique américain. La nomination de Scott Bessent aux négociations commerciales avait alors rassuré les investisseurs. Rien ne garantit un amortisseur équivalent aujourd’hui.
Dans l’immédiat, la prudence prime : les investisseurs continuent d’acheter les actions américaines… mais sans s’exposer à la devise.
 

Source : Analyse Nicholas Sargen, Darden School of Business (University of Virginia) / Fort Washington Investment Advisors